lundi 20 octobre 2008

Des magistrats en grève?

"Les magistrats appellent à une journée d'action le 23 octobre prochain pour exprimer leur ras-le-bol de la situation actuelle de la justice."

Chers lecteurs, je ne peux que vous inviter à soutenir cette action, fût-elle discrète, restrictions sur le droit de grève obligent, et ce, dès que l'occasion se présente en expliquant votre indignation et ainsi faire montre de pédagogie face au prêt-à-penser.

Les politiciens en mal d'image ont crû bon faire de la justice française leur bouc-émissaire principal et le présumé coupable de tous les maux et en particulier de l'insécurité. L'affaire d'Outreau a été une aubaine pour ceux-là.

Rappelons à ceux qui ne le sauraient point que depuis Montesquieu et Locke, le principe de la séparation des pouvoirs a été consacré et surtout, repris par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, en son article 16. (Voir l'image ci-contre)

Ces pouvoirs désignent le Judiciaire, l'Exécutif et le Législatif.
La France applique déjà une conception souple de ce principe, les prérogatives du gouvernement et du Parlement s'enchevêtrant en faveur du premier.

En effet, pour rappel, le gouvernement dispose d'une armada impressionnante d'outils constitutionnels lui permettant de forcer voire de passer outre le législatif dans ce qui relève pourtant de la compétence du Parlement.
Le résultat étant que près de 90% des lois adoptées par le Parlement et promulguées par le Président de la République sont des projets de loi*, l'Assemblée Nationale tout comme le Sénat devenus de simples chambres d'enregistrement des volontés gouvernementales, ce qui a par ailleurs motivé la toute récente réforme - pourtant incomplète - de nos institutions visant à rééquilibrer la balance.

Aujourd'hui, il est encore moins acceptable que le troisième pouvoir tombe sous la coupe de l'Exécutif. La réforme de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature désormais composé de magistrats seulement pour moitié politise la nomination des nouveaux membres du corps judiciaire. D'aucuns diront que l'effet "vase clos" avait déjà politisé la sélection et la formation des magistrats, j'y répondrai que ce n'est pas en sautant à pieds joints dans la mare que l'on évite d'être mouillé.

Notre Garde des Sceaux croît bon s'affranchir de toutes ces règles, cédant au populisme ça et là, pointant du doigt une institution qu'elle est censée défendre. Dès le premier fait divers venu, surfant sur l'émotion suscitée, elle n'hésite pas à contribuer voire à initier la mécanique de culpabilisation de la magistrature.

Après avoir affirmé haut et fort qu'elle estime être le "chef des Procureurs", elle convoque ces derniers pour répondre de la prétendue inapplication des peines planchers, mesure phare du gouvernement Sarkozy**, telle une directrice d'école prête à user du double-décimètres sur les doigts en signe de répression.
Dernier événement en date : le suicide d'un adolescent dans sa cellule.
Hors de toute procédure judiciaire, au mépris du respect de quelques règles fondamentales comme le respect du contradictoire, des droits de la défense, le Procureur en charge du dossier du défunt adolescent a été sommé d'interrompre ses congés pour se présenter séance tenante à une convocation tardive (jusqu'à une heure du matin) visant à faire la lumière sur cette affaire.

Je ne reviendrai pas sur les excellents billets du blog de Maître Eolas qui explique la bêtise d'une telle action. Je me permettrai de m'interroger - "de qui se moque-t-on?" - lorsque d'un côté, le gouvernement n'a de cesse de conspuer la magistrature pour leur prétendu laxisme et de l'autre, au premier événement malheureux de jeter l'opprobre lorsque nos chers juges appliquent la loi en privant un adolescent de sa liberté.

Tout est bon et pretexte pour faire tomber le pouvoir judiciaire définitivement dans le giron du pouvoir politique. Conjuguer cela à la personnalisation du pouvoir entre les mains du Président de la République, vous obtenez un chef de l'Etat à la tête des trois ordres et mettez au placard les principes fondamentaux de 1789.

Les Etats-Unis n'ont même pas osé aller aussi loin dans le présidentialisme, leur Constitution étant bien trop précieuse à leurs yeux.
La France, dont on est fier qu'elle fût le pays des Droits de l'Homme, quant à elle, ressemble tristement de plus en plus à une république bananière.

Arrêtons l'hemorragie et soutenez publiquement le corps judiciaire !
Allez même plus loin, demandez qu'il devienne définitivement indépendant.

* Les projets de loi sont des textes de loi déposés à l'initiative du gouvernement par opposition aux propositions de loi.
** Le choix de l'appellation du gouverment par le Président de la République et non le Premier Ministre est délibéré.

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